Révision de la LAMal
les mesures de maîtrise des coûts conduisent au rationnement
Par son courrier du 19 août 2020, le Conseil fédéral a ouvert la consultation relative au contre-projet indirect susmentionné «Pour des primes plus basses. Frein aux coûts dans le système de santé» (initiative pour un frein aux coûts). Avec cette révision, le Conseil fédéral veut introduire des objectifs en matière de coûts. Il découle de leur définition qu’ils correspondent dans leur conception comme dans leurs effets à des budgets globaux classiques. Or l’impact de tels budgets dans la santé est hautement controversé.
Les budgets globaux ne permettent guère de freiner la croissance des coûts
Les expériences réalisées en Suisse et à l’étranger montrent que les budgets globaux ont un effet sur la maîtrise des coûts faible, voire nul. Les auteurs Bruno Trezzini et Beatrix Meyer de la FMH (Trezzini B, Meyer B. Les budgets globaux cantonaux ne répondent pas aux attentes. Bulletin des médecins suisses 2019;100(33):1057—1060) tirent les conclusions suivantes:
«Un objectif important de la politique, celui de freiner la croissance des coûts dans le secteur hospitalier, n’a pas pu être atteint avec les budgets globaux cantonaux. En même temps, les cantons de Genève, Neuchâtel et Vaud paient des PIG supérieures à la moyenne. Si ces cantons veulent réduire les coûts pour les soins stationnaires, pourquoi ne réduisent-ils pas leurs PIG (qui faussent la concurrence) et renoncent en contrepartie à un budget global? Et pourquoi les cantons qui appliquent un budget global ont-ils des primes supérieures à la moyenne et des coûts AOS bruts par tête supérieurs à la moyenne? Compte tenu de ces questions sans réponse, des effets indésirables qui n’ont pas encore été analysés en détail et des alternatives au budget global disponibles, on peut espérer que l’utilisation de cet instrument problématique ne fera pas d’émules.»
Menace d’une médecine à deux vitesses
Avec les budgets globaux, des prestations médicales nécessaires risquent de ne pas être fournies pour respecter les objectifs de maîtrise des coûts. Il en résulte un risque de rationnement implicite et d’allongement de l’attente des patients pour obtenir un rendez-vous. En témoignent les expériences faites en Allemagne, au Canada ou en Grande-Bretagne. Il en découle de l’inefficience, une pénurie de l’offre et par là une médecine à deux vitesses. Ceux qui peuvent se le permettre bénéficieront de leur traitement, même si le budget global est épuisé et que le plafond de coûts est atteint.
Comme les médecins ne savent pas à l’avance combien de prestations seront fournies, l’objectif se déplace, et ne sera plus basé sur la qualité, mais sur la quantité de traitements: on travaille et lorsque le budget est atteint, on ne prend plus en charge que les assurés disposant d’une complémentaire ou les personnes qui paient de leur poche. Il n’est dès lors pas étonnant que le cercle des opposants à un budget global soit constitué avant tout de la plupart des économistes de la santé, des associations de médecins et de patients, en partie des caisses, de l’industrie pharmaceutique ainsi que des hôpitaux et de leurs patients.
Ingérence dans les compétences des cantons
Le système d’objectifs de maîtrise des coûts proposé par le Conseil fédéral empiète fortement sur les compétences des cantons qui sont garanties par la Constitution. Leur rôle se trouverait à l’avenir réduit à l’accomplissement de tâches secondaires. Dans ces conditions, on ne voit pas comment ils pourront garantir les soins de santé à la population. En revanche, ils deviendront le théâtre de luttes pour la répartition des ressources, qui compliqueront fortement la planification, voire la paralyseront alors qu’elle fonctionne bien jusque-là.
Les hôpitaux, le corps médical et les caisses sous tutelle
Dans le système des objectifs en matière de coûts, les partenaires tarifaires endosseraient le rôle d’exécutants des mesures ordonnées par les autorités. Ils ne seraient plus incités à s’entendre sur la rémunération des prestations. Or cette entente permet de prévenir une augmentation des volumes qui ne se justifie pas médicalement. Un budget global ne freine pas la hausse des coûts, mais oriente plutôt les flux financiers en fonction de ce qui est souhaitable politiquement. Dans un tel cas de figure, la concurrence ne se fait plus sur la fourniture de prestations de qualité à un prix avantageux, mais sur les faveurs des décideurs politiques. C’est pourquoi il faut s‘attendre à ce que le rôle du lobbyisme soit dominant dans un système de santé piloté par des mécanismes politiques au lieu d’être soumis à la concurrence ou à l’économie de marché. Ce sera le cas avec le système d’objectifs en matière de coûts proposé par le Conseil fédéral. Là où règne le lobbyisme, ce sont surtout les cercles influents sur la scène politique qui auront le vent en poupe. En règle générale, ce ne sont pas les fournisseurs de prestations, les représentants des patients ou les travailleurs.
Les décideurs apportent souvent leur soutien à ce qui leur paraît digne d’encouragement pour des motifs politiques, rarement à ce qui serait sensé sur la base de preuves ou des dernières connaissances scientifiques. Les courants médicaux à la mode, mais qui ne sont pas fondés scientifiquement, bénéficieraient, avant tout, de l’aide du monde politique, qui leur allouerait une part avantageuse du budget, resp. un objectif généreux en matière de coûts.
L’introduction d’un budget global serait donc l’expression d’un échec collectif de la politique de la santé. Nous ne pouvons pas en arriver là en Suisse.
La solution de L’avenir de nos hôpitaux
L’avenir de nos hôpitaux est favorable à la voie choisie par le Conseil fédéral consistant à opposer un contre-projet indirect à l’initiative pour un frein aux coûts.
L’avenir de nos hôpitaux estime en revanche que le présent contre-projet n’est pas bon. Elle exige un moratoire.
Avant de recourir à l’instrument du budget global, il faut éliminer systématiquement les incitatifs indésirables déjà identifiés et exploiter les potentiels d’efficience. La proposition d’un budget global est prématurée. Elle remet inutilement en question toutes les autres mesures lancées jusque-là, et dont certaines sont prometteuses, comme le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS) ainsi que les forfaits dans le domaine ambulatoire. En outre, l’actuelle transformation évolutive du paysage hospitalier doit se poursuivre grâce à la dynamique de la concurrence sur la qualité et sur les prix introduite avec le nouveau financement hospitalier.
Derniers développements
Le délai de consultation était fixé au 19 novembre 2020. Au vu des prises de position, il est vite apparu que l’introduction de budgets globaux fait l’objet d’un rejet massif. Les partis gouvernementaux n’apprécient guère la mesure et craignent un rationnement des soins. La CDS, l’Union des villes suisses et bien d’autres organisations affichent leur scepticisme.
Le 28 avril 2021, le Conseil fédéral a pris connaissance du rapport de consultation. Il admet que de nombreuses prises de position sont critiques et estiment que le volet n’est pas mûr et ne peut pas être mis en œuvre. Le Conseil fédéral a donc décidé d’en extraire la proposition d’un objectif de maîtrise des coûts, de l’approfondir et de l’adopter séparément. Cet objectif constitue désormais à lui seul le contre-projet indirect à l’initiative pour un frein aux coûts. Le message sera publié en novembre 2021.
[État: 28.04.2021]